Le Quatrième mur

© Marc Ginot

D’après le roman de Sorj Chalandon – Adaptation et mise en scène Julien Bouffier
- Au Théâtre Paris-Villette.

Le roman a obtenu le Prix Goncourt des Lycéens en 2013. Il parle de l’utopie d’un metteur en scène, Samuel, qui de son lit d’hôpital, demande à son amie de poursuivre le travail qu’il a engagé au Liban : mettre en scène Antigone d’Anouilh. L’action se passe dans les années 80, le Liban est en guerre. On suit le processus de création avec des acteurs de toutes confessions qui sont aussi des combattants et dans un récit qui brouille les pistes de la chronologie. A la déconstruction théâtrale répond la violence lancinante de la déconstruction d’une société, par la guerre fratricide qui, ici, aura le dernier mot.

Le spectacle superpose les temps et les lieux, utilise l’image autant que le jeu dramatique, réfléchit au rôle du documentaire par rapport au théâtre et aux croisements du réel et de l’imaginaire. Il pose la question du pouvoir du théâtre face à la violence et à la mort. Le concept de quatrième mur, titre du roman et du spectacle conduit vers ce mur imaginaire qui sépare la salle de la scène, la réalité de la fiction. Au-delà de l’art théâtral, le spectacle, fidèle au roman, relate les combats, la  violence, les relations entre l’Orient et l’Occident.

Journaliste à Libération pendant plus d’une trentaine d’années, Sorj Chalandon fut l’auteur de reportages en Irlande du Nord et du procès de Klaus Barbie, pour lesquels il obtint le Prix Albert-Londres. Il a participé à l’écriture de séries télévisées et publié une dizaine de romans dont en 2017 Le Jour d’avant, sur la catastrophe minière de Liévin. Depuis août 2009 il est journaliste au Canard Enchaîné ainsi que critique cinéma. Il fut en 1982, en tant que grand reporter l’un des premiers à entrer dans le camp de Chatila situé à Beyrouth-Ouest, après les massacres des réfugiés palestiniens. Le choc reçu devient un moteur de son écriture, repris avec force dans la mise en scène de Julien Bouffier : la toile qui couvre le lieu où se répète Antigone, s’abat en un tourbillon et se transforme en tente, évocation sans appel du camp de Chatila. La metteuse en scène qui s’efforce d’intégrer les codes culturels libanais perd alors ses repères et la notion de réalité, elle n’en sortira pas indemne.

Quatre acteurs portent le texte : Samuel, le metteur en scène, quasi mourant au début du spectacle est ensuite le musicien passionné et talentueux qui transforme le langage musical en personnage principal (Alex Jacob), la metteuse en scène qui reprend le flambeau, à la demande de Samuel (Vanessa Liautey), sa petite fille, Louise (Nina Bouffier), l’actrice interprétant Antigone (Yara Bou Nassar). Le récit final nous mène dans la tragédie, par la mort brutale et impitoyable d’Antigone, donc d’un spectacle qui ne verra pas le jour. Les images, omniprésentes, tiennent aussi un premier rôle et suivent les acteurs dans leurs répétitions et leurs oppositions, comme si les événements s’observaient en temps réel.

Le Quatrième mur dégage une certaine étrangeté tout en étant, par la guerre, très réel. Julien Bouffier en est le chef d’orchestre et maitrise parfaitement les enchevêtrements de langages, théâtral et cinématographique, la direction d’acteurs tant à l’écran que sur scène, la scénographie qu’il signe avec Emmanuelle Debeusscher. Le plateau se fait chambre d’écho du monde, de la réalité par la guerre, autant que du symbolique par le théâtre.

Brigitte Rémer, le 18 mai 2018

Avec : Yara Bou Nassar, Nina Bouffier, Alex Jacob, Vanessa Liautey – à l’image Joyce Abou Jaoude, Diamand Abou Abboud, Mhamad Hjeij, Raymond Hosni, Elie Youssef, Joseph Zeitouny – scénographie Emmanuelle Debeusscher et Julien Bouffier
- création vidéo Laurent Rojol – voix Stéphane Schoukroun
- création musicale Alex Jacob
- ingénieur son Éric Guennou
- création lumière et régie générale Christophe Mazet
- régie plateau Emmanuelle Debeusscher
-  travail sur le corps Léonardo Montecchia
- Le texte est publié aux éditions Grasset.

Du 9 au 26 mai 2018, du mardi au jeudi à 20h, vendredi à 19h, samedi à 20h, dimanche à 16h – Théâtre Paris-Villette, 211 avenue Jean Jaurès, 75019 – Métro ligne 5 : Porte de Pantin.